Rhum de Martinique : 3 choses à savoir
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Le rhum de Martinique est naturellement bien connu des Français. Mais quelle est sa particularité et qu’est-ce que l’AOC ? Comment l’Île aux Fleurs en est-elle arrivée à produire du rhum agricole ? Quelles distilleries produisent du rhum en Martinique ?
Nous allons répondre à ces trois questions et plus encore.
Rhum de Martinique : son histoire

Comme point de départ, il faut remonter au 17ème siècle et parler de l’industrie sucrière. Les Français récemment installés sur l’île se sont rapidement mis à produire du sucre grâce aux cannes à sucre. Cannes à sucre, originaire d’Asie du Sud-Est, apportée par les colons.
Né dans la foulée le rhum de sucrerie en Martinique. Appelé tafia ou guildive (et Kill Devil en anglais), il s’agit d’un rhum de mélasse. C’est grâce à ce résidu de l’industrie sucrière qu’apparait donc l’ancêtre de rhum de Martinique. Mais beaucoup de chemin a été parcouru entre les deux.
Gustativement, ces rhums de mélasse n’ont pas grand-chose à voir avec les rhums de Martinique tels qu’on les connait aujourd’hui. Leur arôme et leur saveur sont bien différents et la qualité est tout autre.
À la fin du siècle, c’est un homme d’Église, le Père Labat, qui va améliorer à la fois les techniques de production de sucre et de distillation de rhum. C’est grâce à lui qu’on « fleuri » des alambics dans les sucreries, petites ou grandes.
Au fil des décennies, les alambics de type charentais servent à distiller la mélasse fermentée et se voient modifiés de petites améliorations successives. Mais la production va exploser, entre autres du fait de l’adoption de la colonne à distiller (une colonne de type Savalle, qui deviendra colonne créole).

Vers la fin du 19ème siècle, la Martinique devient le premier producteur de rhum au monde. Une bonne partie de cette production est exportée en métropole. La ville de Saint-Pierre, sur la côte caribéenne, est alors la capitale mondiale de l’eau-de-vie de canne (toujours élaborée à partir de mélasse) et la capitale culturelle des Antilles.
C’est également dès la fin du 17ème siècle que l’exportation de rhum vers la métropole est réglementée. La relation entre l’hexagone et le rhum martiniquais ne fut pas un long fleuve tranquille. Les eaux-de-vie produites en France métropolitaine (essentiellement Cognac et Armagnac) ne voyaient pas d’un bon œil cette concurrence.
Rhum de Martinique : trois rhums XO typiques
Rhum Clément 10 ans
Rhum La Mauny XO
Rhum HSE XO
Outre la politique protectionniste du vieux continent, un autre événement vient porter un coup à l’industrie sucrière de Martinique. La betterave vient concurrencer la canne et les cours du sucre baissent significativement. Pour survivre, les producteurs de l’île se regroupent et la production de sucre de canne de concentre dans des usines toujours plus grandes.
Seuls de petits planteurs, auxquels cette concentration ne bénéficie pas, font alors le choix de produire du rhum directement à base du jus de leurs cannes. Cela les rend indépendants de l’industrie sucrière. On pourrait qualifier leur production d’ancêtre du rhum agricole.

C’est un autre fait marquant qui va définitivement transformer le visage du rhum de Martinique. En 1902, la Montagne Pelée entre en éruption et oblitère littéralement la ville de Saint-Pierre. Nombre des sucreries de l’île sont dévastées, et une partie des cultivateurs de canne trouvent dans le rhum un débouché.
Les décennies qui suivirent furent pleines de péripéties, entre succès (par exemple pour abreuver les soldats durant les deux guerres mondiales) et de difficultés avec de nouveaux quota mis en place à la demande des producteurs d’eaux-de-vie de raisins. Quoi qu’il en soit, la production de rhum martiniquais, au cours du 20ème siècle, s’est définitivement tournée vers le jus de canne.
En parallèle, s’est améliorée la qualité du rhum de Martinique et le nombre de distilleries a grandement diminué.
Dernier fait marquant de ce court résumé de l’histoire du rhum martiniquais : la création de l’AOC Rhum de Martinique en 1996. Cahier des charges très exigeant, elle reconnait les spécificités de cette production, tout en en assurant la qualité.
Rhum de Martinique : trois rhums blancs typiques
Le Rhum par Neisson
Trois Rivières Origines
Depaz Cuvée de la Montagne
L’AOC Rhum de la Martinique

Cette appellation d’origine contrôlée, souvent appelée « AOC Rhum Martinique », est extrêmement stricte et précise. Le cahier des charges des distilleries qui souhaitent bénéficier de cette AOC regroupe tout un ensemble de critères très exigeant.
Parmi ces conditions à respecter, nous avons :
- Une matière première : le pur jus de canne (aussi appelé vesou)
- Un listing des zones dans lesquelles les cannes à sucre peuvent pousser et être récoltées
- La période de récolte des cannes, du 1er janvier au 31 août
- La durée de fermentation, un maximum de 5 jours
- Le type d’appareil à distiller, la colonne créole
- Le pourcentage d’alcool du rhum en sortie de colonne, entre 65% et 75%
- Une durée de repos minimum en cuve pour le rhum blanc de 6 semaines
- Une durée minimum de vieillissement de 12 mois en fût de chêne ou en foudre de chêne pour les rhums élevés sous bois
- Une durée minimum de vieillissement de 3 ans en fût de chêne (maximum 650 L de contenance) pour les rhums vieux (VO)
- Une durée minimum de vieillissement de 4 ans en fût de chêne (maximum 650 L de contenance) pour les rhums VSOP
- Une durée minimum de vieillissement de 6 ans en fût de chêne (maximum 650 L de contenance) pour les rhums XO
- La validation du profil organoleptique grâce à une dégustation effectuée par le jury AOC.
Si tous ces critères sont respectés, alors le rhum pourra être un estampillé AOC Rhum Martinique.
Si vous souhaitez en savoir plus sur l’AOC Rhum de Martinique, suivez ce lien.

Les distilleries et marques de rhum de Martinique
Comme nous le disions plus tôt, le nombre de distilleries en Martinique a beaucoup diminué au fil des décennies. Il en existe aujourd’hui seulement dix en activité (dites « fumantes »), à la suite de récentes inaugurations de petites unités de production (qui sont d’ailleurs hors AOC Rhum de Martinique).
Il existe en revanche bien plus de marques martiniquaises. Certaines distilleries produisent pour plusieurs de ces marques. Nous allons voir tout cela.
Depaz

Depuis quatre siècle, la distillerie se situe au pied de la Montagne Pelée. Rasée en 1902 par l’éruption du volcan, elle fut remise en état par Victor Depaz, le seul survivant de la famille, loin de l’île lors de la tragédie. La gamme de rhums produits chez Depaz est très complète.
Une autre marque emblématique de Martinique est produite à cet endroit : Dillon. La distillerie éponyme de Fort de France a fermé ses portes et la production a été reprise depuis 2006 sur le site de Depaz. Le vieillissement des rhums Dillon se fait cependant toujours dans les anciens chais sur le site historique.
Voici deux rhums que j’apprécie particulièrement chez Depaz :
- Depaz Blanc 55%, un superbe classique, qui possède un profil totalement tourné vers la canne fraiche. Dur de réaliser de meilleurs ti-punchs qu’avec ce rhum !
- Depaz Millésime 2002, beaucoup de gourmandise sur ce millésime qui ne sera bientôt plus disponible.
Saint James

La marque Saint James est sans doute l’une des plus connues de l’île, entre autres du fait de sa forte présence en grande distribution. C’est sur son site de Sainte Marie que la distillerie produit du rhum pour de nombreuses marques.
C’est aussi sur ce site qu’est sorti de terre le Musée du Rhum où l’on peut découvrir de vieux appareils à distiller et une impressionnante collection de très vieux millésimes (jusqu’à 1885 !).
Parmi celles-ci, on trouve Bally (précurseur sur la notion de millésime), Hardy (l’habitation se trouve sur la presqu’île de la Caravelle), Madkaud (qui a vécu une véritable renaissance il y a quelques années), La Salle (dont l’habitation fraichement rénovée est toute proche de la distillerie) et Baie des Trésors (qui possède ses propres cannes et nous a déjà gratifié d’un très joli rhum blanc et de deux élevés sous bois).
Saint James est la distillerie qui distille donc pour le plus de marques de rhum de Martinique, voici ma sélection personnelle :
- Saint James XO, un rhum typique de la marque, au boisé torréfié bien présent et un rapport qualité/prix exceptionnel.
- J.Bally Blanc 55%, voici un autre rhum blanc qui fera des merveilles pour vos ti-punchs ; on la trouve fréquemment en format de 1 litre, ce qui est un bien quand on voit la vitesse à laquelle elle part !
- Baie des Trésors – Fruits des Pluies, un élevé sous bois nouvelle génération, qui est suffisamment qualitatif pour être dégusté pur.
La Mauny

Dans les rhums de Martinique, La Mauny n’est sans doute pas la maison la plus connue. Pourtant, leur savoir-faire n’est plus à prouver, avec une expertise dans la production de rhum pur jus de canne depuis plus d’un siècle.
C’est sur le même site qu’est également produite une autre marque de rhum de Martinique bien plus connue : Trois Rivières. Nom connu et reconnu, aux symboles forts, le moulin et le bleu si particulier, Trois Rivières n’est plus produite sur son site historique depuis 2004.
Il faut enfin mentionner un troisième rhum distillé chez La Mauny : Duquesne. Uniquement distribué sur l’île, c’est aussi en 2004 que sa colonne a été déplacée à Rivière Pilote.
Dur de faire un choix dans les gammes de La Mauny et Trois Rivières, mais voici mes recommandations :
- La Mauny VO Signature, je ne suis pas fan des rhums de Martinique de trois ans en temps normal mais ce VO a suffisamment de complexité pour faire plus que son âge.
- La Mauny Flower Edition, un rhum blanc dont quelques bouteilles ont été retrouvées par le distributeur, ce sont les dernières !
- Trois Rivières Cask Strength 2006, rares sont les rhums de Martinique brut de fût (au degré naturel, sans réduction), ce 2006 est une rareté très réussie.
Le Simon

Historiquement, ce sont les rhums Clément qui y ont été distillés des années durant. Aujourd’hui, ces derniers s’approvisionnent en majeure partie chez J.M., la distillerie du nord de l’île appartenant au même groupe.
Aujourd’hui l’usine du Simon produit du rhum pur jus (c’était une sucrerie jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale) pour HSE. L’Habitation Saint Etienne est une des marques les plus novatrices. Ils ont par exemple été parmi les premiers à offrir des rhums vieux aux finitions diverses et variées.
Une toute nouvelle marque de rhum de Martinique y est également produite : Braud et Quennesson. Ce nouveau venu possède ses propres champs de cannes, ainsi que ses chais de vieillissement.
Il est à noter que le Simon fourni également deux grandes marques de rhums arrangés : Les Rhums de Ced’ et La Fabrique de L’Arrangé.
- HSE 2003 Finish Sauternes, voici l’une des finitions les plus connues et les mieux réussies dans la gamme Habitation Saint Etienne, un boisé plus complexe et de la douceur.
- Les Rhums de Ced’ Ti Graal Ananas Framboise, plus de puissance, du rhum qui se sent et des fruits qui s’associent à la perfection, un incontournable !
- La Fabrique de l’Arrangé Touareg Thé vert Menthe, un originalité dans l’univers des rhums arrangés, si vous aimez le thé à la menthe, ne cherchez plus.
J.M

La distillerie nichée au nord de l’île bénéficie d’un site unique. Les toits rouges des bâtiments sont littéralement enchâssés dans un écrin vert de la végétation environnante. La vue est à couper les souffle. Dans l’univers du rhum de Martinique, J.M est particulièrement connu pour ses rhums millésimés de 10 et 15 ans.
Comme dit plus haut, la distillerie produit également la quasi-intégralité du rhum pour Clément. Cette marque est une des plus connues de l’île et une des plus largement distribuées, y compris à l’international. Outre un nombre de fûts en vieillissement parmi les plus importants de Martinique, on connait aussi Clément grâce à sa série Canne Bleue, dont un nouveau « millésime » sort chaque année.
Voici quelques références en provenance de chez J.M qui me plaisent :
- Rhum J.M Millésime 2011, ce rhum a passé 10 ans en fût à la distillerie ; ma préférence va souvent aux 10 ans plutôt qu’aux 15 ans de J.M.
- Rhum J.M VSOP, depuis que les assemblages ont été revus pour la gamme classique, ce rhum d’au moins 4 ans est plein de gourmandise.
- Cuvée Homère Clément Rhum Hors D’Âge, un bel exemple de ce qui peut sortir des chais de chez Clément, ce qui ne gâche rien, la carafe est joli
La Favorite

C’est une des deux dernières distilleries indépendantes de l’île. Entreprise familiale, sa production ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan de pur jus de Martinique (qui n’est lui-même qu’une infime partie de la production mondiale du rhum).
Ce site de production est « resté dans son jus » et la visite, ponctuée de jets de vapeur et de sifflements, vaut le coup. Depuis quelques années, la petite distillerie multiplie les sorties et pointues, qui trouvent un public de passionnés. La cuvée emblématique de La Favorite est La Flibuste : un rhum millésimé qui aura passé plus de 20 ans en fût.
La distillerie produit également le rhum Survi, réservé au marché local.
Mon goût personnel m’amène plutôt sur les rhums blancs de La Favorite, en voici deux exemples :
- La Favorite Cœur de Canne 55%, je préfère cette version à 55% plutôt que sa petite sœur à 50%, plus d’intensité et plus de plaisir.
- La Favorite La Digue 2018, un deux ceux rhums parcellaires de la distillerie, cette récolte 2018 était un vrai succès.
Neisson

Voici la seconde distillerie indépendante de l’île et aussi la plus petite. Située sur les flancs de la Montagne Pelée, juste au sud de la commune de Saint Pierre, elle célèbre cette année ses 90 ans. Neisson est sans doute la distillerie qualifiée de plus qualitative de Martinique.
Qu’il s’agisse de ses millésimes (par exemple la série des Armada), de ses vieux comptes d’âge (12 ans, 15 ans, 18 ans, 19 ans et 21 ans), de ses élevés sous bois (Profil 105 et Profil 107) ou de ses blancs (52.5% et l’Esprit), ils sont tous considérés comme de grands rhums par les amateurs.
C’est par ailleurs une des premières distilleries à avoir fait le choix du bio.
Dur de faire un choix parmi toutes les belles références de la petite distillerie familiale, voici le mien parmi les références abordables de la maison :
- Le Rhum BIO par Neisson, un rhum blanc de dégustation, avec un vrai effet année de récolte, une rareté.
- Neisson Profil 105 Bio, on reste dans le bio avec cet élevé sous bois nouvelle génération où le boisé s’exprime déjà pleinement malgré son jeune âge.
A1710

Cette jeune distillerie a fait preuve de beaucoup d’audace en se mettant à produire des rhums non AOC. C’est sur l’Habitation du Simon que sont produits des rhums blancs au profil bien particulier sur un alambic à distillation discontinue (et donc pas une colonne créole).
Leur gamme de blancs est assez large et compte entre autres des rhums bio mono-parcellaires.
Les vieux en revanche sont des assemblages de jus achetés auprès d’autres distilleries de Martinique et de Guadeloupe. A1710 commence cependant à pouvoir proposer des rhums vieux issus de leur propre production.
Chez A1710, je me dirige également vers des rhums blancs, car c’est là que va s’exprimer au mieux les spécificités des méthodes de production (pur jus distillé sur alambic) :
- A1710 La Perle, voici le rhum emblématique de la distillerie, dans lequel les notes marines vont s’épanouir pleinement aux côtés de la canne.
- A1710 La Perle Brute, si le premier vous a plu, voici la version non réduite (brute d’alambic), où la trame reste la même mais le volume est monté d’un cran à tous les niveaux.
Habitation Beau Séjour

Il s’agit du dernier site de production de rhum de la Martinique. Située à Grand’Rivière, au nord de l’île, elle se trouve non loin de J.M.
Tout comme A1710, elle a pris le parti de produire du rhum hors AOC (bien qu’il s’agisse toujours de rhum agricole). Seuls des rhums blancs ont pour l’instant été commercialisés, en attendant que les jus, mis en vieillissement, soient prêts.
Le Galion

C’est avant tout l’unique sucrerie de l’île. Sa particularité, par rapport aux autres distilleries de Martinique, est de produire du rhum de mélasse (provenant de la sucrerie).
Deux types de rhums en sortent :
- Le Grand Fond Galion, un rhum blanc vendu en vrac pour la grande distribution (pour les marques distributeur)
- Le rhum grand arôme, un rhum exubérant par son intensité aromatique. Il est utilisé pour donner du parfum ou du goût à d’autres rhums (mais est aussi utilisé en parfumerie ou encore en agro-alimentaire). On commence à voir certaines bouteilles de cet ovni sur le marché.
Pas simple de trouver un grand arôme du Galion mais en voici un exemple chez un embouteilleur indépendant nordique :
- Rom de Luxe – Galion Grand Arôme , il nous emmène sur un terrain exubérant et extrême, âme sensible s’abstenir !

Vous voilà prêts à explorer le Rhum de Martinique sur de bonnes bases. Et comme souvent, il n’y a pas de secret, si vous voulez mieux connaitre ces rhums, vous allez devoir en déguster un maximum.
Alors bonnes découvertes et bonnes dégustations !